Entrée du
datunda 5 nelona 5432,
(Note : cette date correspond au 4e
jour du 5e mois au Secteur Tapani, soit le 146e jour de
l’année 20 après la Bataille
de Yavin, selon le calendrier républicain.)
À l’heure où
j’écris ces lignes, je me fais plus aucune illusion sur notre sort. Il paraît
qu’en face, ils sont deux fois plus nombreux, et nous, ça fait déjà une semaine
qu’on est coincés dans cette foutue ville en ruine. Y a des blessés qui n’ont
pas survécu, on est bientôt à court de vivres, et même les munitions viennent à
manquer. Les citoyens de cette ville ont fait ce qu’ils ont pu pour nous aider
– la moindre des choses, vu qu’on est venu à leur demande, mais ça fait
toujours plaisir – mais maintenant, je vois la fin, et elle est pas joyeuse.
Les radars viennent d’afficher la progression de trois barges à voile, sans doute
chargées jusqu’à la gueule de pirates fous furieux prêts à défourailler sur
tout ce qui bouge, et les renforts n’arrivent toujours pas.
Avant de
livrer cette baston qui s’annonce vraiment désespérée, j’aimerais garder un
petit souvenir de quelque chose qui ne m’était jamais arrivé, et qui ne
m’arrivera probablement jamais plus. En fait, même s’il fait beau temps au
moment où j’écris, ce qui s’est passé a été plus réconfortant que tous les
rayons de soleil que j’ai pu recevoir. J’ai pu échanger quelques mots avec Dame
Chi’ta Kahirnee, la Jedi
qui était venue essayer de régler le problème avec diplomatie, sans succès. En
effet, jusqu’à il y a une heure, je n’avais pas eu l’occasion de l’approcher,
et d’ailleurs, je ne savais pas si j’avais le droit de lui parler, moi un
simple péquin d’éclaireur – après tout, j’ai jamais osé parler à un général, je
ne suis pas très courageux quand je parle aux huiles, je l’avoue.
La première
chose qui m’a surpris, la première fois que je l’ai vue, c’est tout bêtement
son apparence extérieure : je m’attendais à une grande femme baraquée,
portant une armure la laissant à moitié à poil comme dans les dessins des
magazines que je lisais quand j’étais môme, imperturbable et excellente
guerrière. Je me suis lourdement gouré. Chi’ta Kahirnee est en fait une Drall,
je n’en avais jamais vu. Une espèce de marmotte humanoïde en robe marron, à
peine plus grande qu’un gosse de douze ans, un peu trapue, et rigolote comme
tout. Elle parlait comme une intello, mais avec l’enthousiasme et la joie de
vivre de n’importe lequel d’entre nous. Quand elle parlait, ça donnait du cœur
au ventre autour d’elle, plus d’une fois je l’ai vu faire, mais j’ai jamais osé
l’aborder.
Aujourd’hui,
enfin, ça s’est passé. J’étais au sommet d’un immeuble éventré par une pluie de
torpilles à protons, pour observer les mouvements des pirates. Le temps était
clair, c’était le calme avant la tempête. En tout cas, je ne voyais rien venir.
C’est alors qu’elle est montée pour me rejoindre. Je vais essayer de
retranscrire la conversation qu’on a eue, même si je ne garantis pas que ce
soit ça mot pour mot.
-
Je peux m’asseoir près de vous ?
-
Sûr, M’dame !
Elle s’est
assise dans un vieux fauteuil à moitié déchiqueté, alors que j’étais appuyé sur
une commode, jumelles vissées sur les yeux. Pour le coup, elle était plutôt
calme, avec juste un petit sourire rassurant. Elle n’avait pas l’air inquiète,
en tout cas. Moi, je me suis senti minable ! Pas rasé depuis une semaine,
pas lavé depuis deux jours, j’avais vraiment l’impression d’être d’un clodo.
Mais curieusement, contrairement à la plupart des pontes ou des nobles que j’ai
pu rencontrer, ça ne la dérangeait absolument pas.
-
Alors, vous voyez quelque chose ?
-
Non, M’dame. R.A.S.
-
Je ne sens rien, moi non plus. Nous avons encore le temps,
si nous devons être attaqués aujourd’hui, ce ne sera pas avant une bonne heure.
-
Si vous le dites, M’dame…
Quelques
minutes ont passé comme ça, et puis elle a repris :
-
Je n’ai pas l’avantage de vous connaître,
monsieur ?
J’ai posé mes
macrojumelles pour me tourner vers elle.
-
Ouais, c’est possible. On n’a pas été présenté, je
crois. Moi, je sais qui vous êtes, et votre titre… mais ça vous intéresse de
savoir qui je suis ?
- Mais bien sûr ! elle a répondu, en souriant plus
franchement. Alors, qui êtes-vous, guerrier ?
Ah, j’ai été
vraiment gêné, là ! Je me sentais comme un petit gamin qui aurait vu Rita
Goodkiss, la chanteuse de spatio-rock, et que celle-ci lui aurait proposé de
faire un petit tour sur scène avec elle.
-
Je m’appelle Chom Bardinn, M’dame Kahirnee, et je ne
suis pas un guerrier, juste un éclaireur.
-
Eh bien je suis enchantée de faire votre connaissance,
Chom Bardinn.
Et là, elle
m’a carrément tendu la main ! Comme j’ai eu l’air idiot !
-
Euh… je… je sais pas faire le baisemain, M’dame.
-
Qui parle de baisemain, monsieur Bardinn ? Vous
n’avez qu’à me saluer comme si j’étais l’un de vos camarades !
-
Vous êtes sûre ?
-
Mais oui !
J’y ai
délicatement pris le poignet, elle a serré le mien, et on est resté comme ça
une seconde.
-
Euh… je…
-
Est-ce que je vous impressionne, monsieur
Bardinn ?
-
Oui… euh non… euh…
-
Ce serait plutôt moi qui devrais être impressionnée.
Vous semblez plus âgé que moi, vous avez l’air d’avoir déjà vécu pas mal de
moments difficiles.
-
Pourtant, vous êtes une Jedi, M’dame.
-
Oui, mais je n’ai sûrement pas votre habitude des
champs de bataille.
Ca m’a fait
tout chose, ces mots-là.
-
Vous savez, M’dame, c’est la première fois que je parle
à un vrai Jedi. Faut dire que dans le Secteur Tapani, ils ne sont pas très
nombreux, même depuis la bataille de Procopia.
-
Il n’y a pas de quoi se sentir gêné, ou plus faible, ou
moins important que moi. Aucune personne n’est inférieure ou supérieure à une
autre, dans cet univers.
-
J’ai pas été confronté à ce que vous avez pu voir à ce
moment-là. J’ai pas fait mes preuves contre les Précurseurs de Kathol, et tout
le reste. Pour être franc, j’ai pas osé vous parler parce que je me sentais pas
digne.
-
Quelle idée insolite !
Je me suis
levé, j’ai fait quelques pas pour chercher mes mots, et j’ai continué :
-
Pour moi, les Jedi sont des gens plus importants encore
que les généraux, les présidents, les monarques, et tout ça…
-
Vous parlez hiérarchie, mais les Jedi n’en tiennent
jamais compte, sur le plan des relations. Tous leurs interlocuteurs ont droit à
la même considération.
-
En fait, la première fois que je vous ai vue, je me
suis dit que je n’aurais jamais le droit de vous parler. J’ai cru que vous ne
vous intéresseriez jamais à un péquenot d’éclaireur.
Là, son petit
sourire s’est dissipé, elle a pris un air résigné.
-
Même si je n’aime pas du tout la guerre, ça ne
m’empêche pas de respecter les gens comme vous. Pas les fanatiques utilisant la
guerre pour justifier et satisfaire leurs pulsions sanguinaires, mais les
volontaires prêts à sacrifier leur vie pour sauver les faibles et les
innocents.
Là, je
l’avoue, j’ai eu du mal à me retenir de chialer.
-
M’dame, je vais vous décevoir, mais j’ai la
trouille ! Moi, j’ai peur de mourir !
-
Ne vous en faites pas, c’est tout à fait normal.
-
Ouais, mais regardez-moi, et regardez-vous ! Je
suis plus grand que vous, peut-être plus balaise, et j’ai les foies !
Vous, vous êtes… vous semblez plus fragile, et pourtant vous n’avez pas l’air
d’avoir peur. Comparé à vous, je ne suis qu’une chiffe molle.
-
Il ne faut pas dire ça, Chom. Si vous êtes ici, cela
signifie que vous dominez malgré tout cette peur. Votre désir d’aider les
habitants de Yukon surpasse votre peur, et croyez-moi, vous pouvez en être très
fier.
-
Vous… vous croyez ça, M’dame ?
-
J’en suis même certaine. Tout comme je suis certaine
que ce sera ma dernière mission, Chom. Je suis heureuse de la mener avec
quelqu’un comme vous, et j’espère que nous y parviendrons, mais je vous avoue
que j’ai peur de ne pas y arriver, moi aussi.
-
Peur ? Une Jedi, avoir peur ? Sérieux ?
Elle m’a
regardé assez gravement et pris deux petites secondes avant d’enchaîner :
-
Même si nous sommes de race différente, je suis comme
vous, Chom. Même les Jedi peuvent ressentir la peur, la tristesse… et l’amour.
Pour être franche, je n’aurais même pas dû être parmi vous aujourd’hui, même si
je suis fière de pouvoir vous aider, dans la mesure de mes moyens.
- Ah ouais ? Je peux… je peux vous demander
pourquoi, si c’est pas trop indiscret ?
-
Vous pouvez, Chom. Nous ne sortirons peut-être pas de
cette bataille, alors au point où nous en sommes, je peux bien vous en parler.
Ca me soulagera peut-être.
Là, elle s’est
arrêtée, et a passé quelques instants à chercher ses mots. Un moment, j’ai
pensé qu’il aurait mieux valu qu’elle se casse la tête si ça la dérangeait, et j’allais
le lui dire, mais elle a finalement déclaré :
-
Je… je suis enceinte, Chom.
Là, j’ai
carrément tiré une tronche de deux mètres de long. J’ai bredouillé
ensuite :
-
Quoi ? Vous ? Et vous êtes ici ?
-
Hé !
-
Mais c’est de la folie ! Mais qu’est-ce que vous
foutez là ? Vos supérieurs vous ont envoyée ici alors que… j’pige pas.
-
Je ne serais pas venue si je l’avais appris à temps,
Chom. Je ne suis au courant que depuis deux jours.
-
Deux jours ?
-
Pendant la soirée où l’on a tenté de se remonter un peu
le moral, je suis allée voir le docteur Brig, il m’a fait passer le test… et
m’a annoncé que si j’avais ces malaises, ce n’était pas à cause d’une simple
grippe.
Là, je jure
devant tout ce qu’on voudra, sur la tête de mes parents, que j’aurais fait
n’importe quoi pour qu’elle se barre. N’importe quoi pour être sûr qu’elle
puisse s’en sortir, et pouvoir s’occuper de son bébé, et ne plus jamais être en
danger.
-
Merde… ! Enfin, j’veux dire… C’est génial !
C’est super ! C’est trop fort !
-
J’aimerais pouvoir en parler à mon mari. Vous croyez
que quand la bataille sera terminée, nous pourrons lui envoyer un
message ?
-
Si on s’en sort, je réparerai les communicateurs
moi-même !
Elle m’a fait
un grand sourire. Et là, j’ai vraiment eu l’impression de voir un ange me dire
bonjour. Drôle d’ange, petit, tout poilu, avec de longues dents, avec sa bure
marron et son foulard bleu ciel, mais ça m’a fait un réconfort comme je n’en
avais jamais eu.
-
Maintenant, je pige quels sont vos pouvoirs de Jedi,
M’dame…
-
Le seul véritable pouvoir vient de votre cœur, Chom. Je
sais, dit comme ça, ça fait cliché, mais c’est vrai.
-
Ouais, comme vous dites.
Le vent s’est
mis à siffler un peu plus fort, et comme le soleil se couchait, la température
a baissé.
-
Je resterais bien avec vous encore quelque temps, mais
je vais devoir vous laisser. Je dois parler à vos camarades, essayer de leur
apporter un peu de chaleur, à eux aussi.
-
Vous en faites pas pour moi, M’dame, les camarades ont
aussi besoin de vous. Et puis, maintenant, vaut mieux pas que vous preniez
froid.
-
Je… vous pouvez quitter votre poste deux minutes, le
temps de me raccompagner au campement ?
-
Sûr, M’dame !
Y avait rien
en vue, j’ai jugé que je pouvais bien la ramener. On est parti, elle m’a tenu
la main, pour ne pas trébucher sur les gravats des bâtiments en ruines. Deux
minutes plus tard, on est revenu dans l’immeuble qui nous sert de QG. Une fois
à la porte, elle s’est tournée vers moi, et je me suis mis à genoux pour être à
sa hauteur.
-
M’dame, si je ne… enfin, vraiment, merci d’être passée
me voir.
-
C’est bien à moi de vous remercier de m’avoir aussi
bien traitée.
-
Je vais devoir y retourner, maintenant.
-
Je suis sûre que vous saurez remplir au mieux vos
fonctions.
-
J’ai… oh, blast, c’est tellement crétin ! J’ai
l’impression de ressentir ce que ressentent les gars qui servent la jolie
princesse dans les contes de fée, quand ils partent à la bagarre !
-
Dans ce cas, il faut que nous nous séparions comme il
faut, selon les règles !
Et encore une
fois, elle a fait quelque chose que je pensais pas qu’elle ferait : elle a
enlevé son foulard, et l’a attaché autour de mon bras.
-
Voilà qui vous portera chance, Chom. Enfin, j’espère.
-
J’en suis sûr, M’dame Kahirnee.
-
Et merci pour tout. Que la Force soit avec vous.
Et c’est là
que je suis remonté, complètement déboussolé par les paroles de cette Jedi.
J’ai pris mon bloc de données au passage, et j’ai consigné par écrit cette
conversation. Maintenant, je vais l’éteindre, l’alarme vient de sonner,
j’ai tout juste le temps de finir ce paragraphe.
Je parierais
que quelqu’un retrouve ce bloc de données dans quelques années, sous un gros
tas de gravats, mais si c’était le cas, je vous prie de dire à ma mère et mon
père que mes dernières pensées ont été pour eux. Avec un Jedi dans nos rangs,
même si on a peu de chances de s’en sortir, je pars serein car je suis sûr
qu’on a fait ça pour une cause juste. On vient de m’appeler, les barges sont en
vue. Que la Force
soit avec nous, et avec Dame Kahirnee !
Chom Bardinn,
matricule BR-61-651